"l'hopital public et l'union europeenne", étude publiée dans la revue hospitalière de france.

Date de publication : 19 Septembre 2002
Date de modification : 19 Septembre 2002

L'Union européenne a été tout d'abord une unité économique, fondée sur les principes de la libre circulation des marchandises et des travailleurs. Puis elle a également investi le champ financier, permettant la libre circulation des capitaux et la mise en place d'une monnaie unique. Mais elle ne cesse d'approfondir ses attributions et d'aborder de nouveaux domaines d'activité, dont la santé. L'organisation sanitaire, la distribution des soins et le rôle de l'hôpital entrent de plus en plus, sinon dans son domaine de compétences, tout au moins dans son champ d'influence. Cela ne signifie pas que les préoccupations sociales ou sanitaires aient été absentes durant les dernières décennies. Bien au contraire, les premières décisions dan ce champ sont contemporaines des grands actes fondateurs des Communautés : tel fût le cas pour la couverture sociale des travailleurs frontaliers. Mais, jusqu'à l'adoption du Traité de Maastricht (1992), la santé n'était pas une composante à part entière de l'intégration européenne, le traitement des politiques sociales demeurant très partiel dans la Communauté. Cette sphère est essentiellement guidée par les règles de souveraineté nationale, sur lesquelles se greffe le principe communautaire de subsidiarité : « la Communauté n'intervient dans des domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, tels la santé publique, que si et dans la mesure où, en raison de leurs dimensions ou de leurs effets, les objectifs de l'action envisagée peuvent être mieux réalisés au niveau communautaire » . Sauf cas particulier, le niveau d'administration idoine d'une fonction reste le niveau le plus décentralisé. Les Etats membres ont ainsi décidé que le niveau étatique ou régional était le niveau de décision le mieux adapté en matière de santé. En conséquence, les actions communautaires en matière sociale ou sanitaire n'ont de légitimité que lorsqu'elles complètent et/ou renforcent celles qui sont conduites sur le plan national. Dès lors et jusqu'à ce jour, une bonne partie de la législation communautaire produite dans le domaine sanitaire n'a pas fondamentalement transformé le fonctionnement des systèmes de santé des pays européens ; les Traités n'ayant donné à l'Union que des compétences extrêmement ténues dans les systèmes de santé. De même, aucun Etat membre n'a souhaité se dessaisir de ses prérogatives dans le champ social. Les disparités des infrastructures de soins, les modèles variés de gestion, les différents modes de consommation des soins justifient sans doute la position des Etats et une attitude interventionniste très prudente du législateur européen. Le Traité de Maastricht (1992), en son article 129, a structuré la démarche sociale et sanitaire de l'Union européenne, prévoyant que la Communauté devait apporter une " contribution à la réalisation d'un niveau élevé de protection en santé ". Toutefois, l'intervention communautaire restait limitée. Elle privilégiait la prévention des maladies, la lutte contre les grands fléaux telle la toxicomanie, en favorisant la recherche sur leurs causes et leur transmission ainsi que l'information et l'éducation en matière de santé. Bien que modeste, cet article 129 aura néanmoins permis la création ou le développement de programmes européens de santé publique, notamment la lutte conjointe contre le tabagisme, le cancer, le SIDA, la drogue, la surveillance des maladies transmissibles ou la promotion de la santé. Le traité d'Amsterdam (1997), en son article 152, a notablement élargi les compétences de l'Union en matière de santé publique, en lui conférant dans certains domaines un véritable pouvoir de décision. Tel est le cas notamment en ce qui concerne la qualité et la sécurité des organes et substances d'origine humaine, du sang et de ses dérivés. L'article 152 donne également mission à l'Union d'assurer un haut niveau de protection de la santé dans la conception et la mise en oeuvre des autres politiques de la Communauté : agriculture, éducation, recherche, développement industriel. A défaut d'être donc considérée comme une politique communautaire, la santé publique devient un objectif transversal à part entière de la Communauté. Il y a donc bien, d'année en année, un approfondissement de l'Europe de la santé, bien que l'article 152 exclut formellement toute harmonisation des législations nationales en la matière. La pression des opinions publiques en matière de sécurité sanitaire des aliments conduit par exemple à envisager désormais la création d'une agence alimentaire européenne en charge de la vigilance et de l'alerte rapide. Les hôpitaux d'Europe vivent dans un environnement déjà fortement marqué par la législation communautaire. Les directives sur la libre circulation des professionnels de santé ont ouvert nos hôpitaux aux ressortissants communautaires pour certaines catégories d'emplois : médecin, infirmière, pharmacien. La libre circulation des professionnels de santé est aujourd'hui une réalité. De même, l'application du principe de libre circulation des biens et services a bouleversé les procédures d'homologation des équipements médicaux, unifiant les principes de la matério-vigilance, les conditions de collecte et de fractionnement des produits sanguins, les protocoles concernant les greffes et prélèvements d'organes ainsi que les procédures d'autorisation de mise sur le marché des médicaments. De multiples règles européennes concernant le traitement des déchets s'appliquent d'ores et déjà dans nos établissements. Les procédures d'achats tendent à s'unifier. La monnaie unique est déjà là. L'Europe est peu à peu entrer à l'Hôpital. Cette lente évolution, les hospitaliers ont souvent eu l'impression de la subir, comme une fatalité exogène. Or l'heure n'est plus à subir l'Europe, mais au contraire à l'accompagner dans sa construction et, sur certains thèmes, l'impulser. Des différences importantes existent dans l'organisation hospitalière et les mécanismes de financement de chaque Etat membre. Néanmoins, les enjeux auxquels sont confrontés les systèmes de santé restent assez voisins dans les différents pays : développement de pathologies coûteuses, vieillissement démographique, accroissement généralisé des dépenses de santé, difficultés de financement, problèmes d'accès de certaines populations à une couverture médicale satisfaisante. La construction progressive d'un espace sanitaire européen amène désormais à considérer l'Europe comme une dimension naturelle de notre activité. Le moment apparaît particulièrement propice pour les hôpitaux d'amorcer une réflexion sur l'Europe, et de faire entendre leur voix, et cela pour deux raisons : - d'une part, bien que l'organisation des systèmes de santé reste de la compétence propre des Etats, il apparaît que jamais les enjeux européens, les interrogations suscitées et les évolutions attendues n'ont été aussi forts pour les hôpitaux. Avec le lancement de la nouvelle politique de santé publique de la Commission en mai 2000, l'Union marque une étape majeure en matière de santé, qui ne sera pas sans répercussion sur les établissements de santé. Avec les arrêts pris par la Cour de Justice des communautés Européennes en matière de libre circulation des patients, de nouvelles échéances s'ouvrent à terme pour les hôpitaux ; - d'autre part, le Conseil européen de Laeken (14-15 décembre 2001) a mis en place une Convention chargée de préparer la Conférence Intergouvernementale de 2004. Un vaste débat s'ouvre désormais sur les futures définitions et compétences de l'Union, sur ses modalités de fonctionnement à l'heure de l'élargissement, sur ses instruments d'intervention. Ce forum peut donner l'opportunité aux hospitaliers de notre pays de participer pleinement à un débat sur l'Europe, à faire avancer un certain nombre de projets importants à leurs yeux. De telles évolutions véhiculent parfois des contraintes qui doivent être expliquées aux établissements de santé. Mais elles sont aussi souvent porteuses de progrès, parce qu'une réflexion menée au niveau européen, nourrie de la richesse des expériences de quinze pays (et prochainement des nouveaux adhérents) permet aussi de remettre en perspective nos propres habitudes. Les évolutions européennes sont inéluctables; rien ne sert d'en avoir peur ou de les refuser. Au contraire, il faut participer aux discussions, faire entendre sa voix, afin que cette Europe de la santé soit le plus proche de nos idéaux. Loin de faire de l'Europe de la santé une mécanique administrative lourde, il faut au contraire qu'elle soit un instrument efficace, proche des réalités du terrain, et porteur d'évolutions au service des citoyens, utilisateurs des services de soins. L'Europe de la santé est déjà une réalité, à l'intérieur même de l'hôpital. Elle est aujourd'hui à un tournant majeur de son évolution. Il est indispensable que les établissements hospitaliers s'investissent activement dans les chantiers qu'elle s'apprête à engager avec l'ambition de peser sur ses évolutions.

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