Tribune

« La France ne sera pas une nation verte tant que son système de santé ne sera pas durable »

Date de publication : 1 Décembre 2022
Date de modification : 1 Décembre 2022
La FHF publie dans Le Monde le 27 novembre 2022 une tribune à la signature d'Arnaud Robinet (Président de la FHF) et Patrick Pessaux (Président du comité Transition écologique en santé de la FHF et du Collectif écoresponsabilité en santé) qui appelle à l'aggiornamento écologique du système de santé.

Face à l’accélération des bouleversements liés à la crise écologique, un sursaut collectif est nécessaire. Avec le plan national de sobriété, un premier pas d’ampleur est en passe d’être franchi. Il faut maintenant embrayer secteur par secteur pour que les initiatives prises sur le terrain poussent les dirigeants internationaux à accélérer. En particulier, les acteurs de la santé doivent d’urgence faire leur aggiornamento écologique. Trop peu discutée, même si l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a appelé à mettre le sujet sur la table de la COP27, la transformation de nos systèmes sanitaires est pourtant indispensable d’un point de vue écologique et de santé publique.

Plus que le trafic aérien

En France, ce secteur est responsable de 8 % des émissions de gaz à effet de serre, dont plus de la moitié en lien avec les achats de médicaments et de dispositifs médicaux. C’est plus que le trafic aérien. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) estime que les seuls établissements de santé représentent plus de 700 000 tonnes de déchets et jusqu’à 1 200 litres d’eau par patient hospitalisé chaque jour. Autrement dit, la France ne sera pas une nation verte tant que son système de santé ne sera pas durable. De même qu’aucune refondation de notre système de santé ne peut être envisagée sans prise en compte des impacts de la crise écologique sur la santé : incendies, zoonoses, ou encore pollution de l’air qui, en l’état, pourrait causer jusqu’à 100 000 décès prématurés en France chaque année, sont des risques à intégrer pour renforcer notre résilience.

Les hôpitaux et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) publics se sont saisis de ce sujet en inventant localement des solutions qui ne demandent qu’à être généralisées. En région Pays de la Loire, l’Agence régionale de santé (ARS) et l’Ademe travaillent avec les établissements pour réduire leur consommation d’énergie. En Auvergne, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand gère quarante-sept filières de tri des déchets et le centre hospitalier de Moulins-Yzeure a lancé une démarche de restauration responsable inspirante. En Nouvelle-Aquitaine, le CHU de Bordeaux (Gironde) a lancé une politique de mobilités durables ambitieuse.

Partout en France, les établissements se mobilisent, comme à Carcassonne (Aude), où le centre hospitalier à couvert plus de 24 000 mètres carrés d’ombrières photovoltaïques. On voit aussi fleurir ici et là des « écomaternités » et des « green blocs », c’est-à-dire des services qui se sont réorganisés pour travailler à la diminution de leur propre empreinte carbone au quotidien !

« Une partie des efforts conduits sur la pertinence des soins ainsi qu’un travail d’optimisation des consommables utilisés en intervention permettraient de dégager des marges »

Chacun de ces projets illustre le souci des professionnels de retrouver le sens premier de leur mission, prévenir et soigner, sans que leurs pratiques ne contribuent à la dégradation de l’environnement. Loin d’être ressentie comme une contrainte, cette démarche est avant tout synonyme d’attractivité et de cohésion des équipes. Il faut l’encourager et passer d’actions éparses à une politique globale de transformation alignée sur l’accord de Paris.

Les établissements publics de santé doivent déjà intégrer l’écoresponsabilité à leur fonctionnement en vertu de diverses lois récentes – ELAN (évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), AGEC (relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire), Climat et résilience, EGalim (pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, issue des Etats généraux de l’alimentation), LOM (loi d’orientation sur les mobilités), etc. Mais ils ne sont pas armés pour le faire efficacement tant le sujet est nouveau, ambitieux et, par ailleurs, rarement financé.

Bien sûr, des leviers d’économies existent au sein même des établissements : une partie des efforts conduits sur la pertinence des soins (dont 20 % seraient redondants, selon l’agence régionale de santé) ainsi qu’un travail d’optimisation des consommables utilisés en intervention – impliquant également des économies en lavage et stérilisation – permettraient de dégager des marges.

Cependant, si ce travail interne doit être mené de front, il ne concernerait que la portion congrue des besoins de financement en transition de notre secteur. L’adaptation du système de santé à l’ambition d’une société écologique appelle un soutien public fort de l’Etat associé à une véritable capacité de planification.

Une nouvelle culture du soin

C’est ce que pourrait permettre le « fonds vert » créé par le gouvernement pour les collectivités s’il était étendu spécifiquement au service public de santé et plus largement à tout l’écosystème public : rénovation énergétique, mobilités douces et durables, études et expérimentations sur l’usage unique versus le réutilisable, conception écologique du soin (« free cooling » dans les blocs opératoires, stérilisations, etc.), ou encore achat responsable sont autant d’enjeux stratégiques que ce fonds devrait pouvoir financer pour accélérer massivement la transformation de nos établissements.

Face à nous se dressent de multiples défis : pour former les personnels administratifs, logistiques, techniques et soignants ; pour construire une nouvelle culture du soin qui prenne en compte l’impératif écologique ; et pour bâtir une infrastructure sanitaire et médico-sociale qui participe à protéger l’environnement et, en conséquence, la santé des populations.

Ce travail d’ampleur ne pourra être mené sans un vrai pilotage et un véritable engagement national et interministériel, à travers par exemple un comité national pour la transition écologique en santé dont le secrétariat serait assuré par un délégué interministériel travaillant de concert avec le secrétariat général à la planification écologique, associé à des référents sur le terrain, à l’échelle des groupements hospitaliers de territoire (GHT).

Les établissements publics de santé et médico-sociaux ont pour mission de prolonger la vie humaine et de sauvegarder notre autonomie dans un environnement qui sans cesse se dégrade : donnons-leur les moyens de leur transformation écologique pour qu’ils puissent continuer d’être au rendez-vous de cette mission d’intérêt général.


Arnaud Robinet (Président de la Fédération hospitalière de France, FHF) et Patrick Pessaux (Président du Collectif écoresponsabilité en santé et du comité Transition écologique en santé de la FHF)

 

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