« Malgré des progrès indéniables, la santé porte toujours les stigmates d’une médecine historiquement pensée par et pour les hommes, au risque d’ignorer les besoins spécifiques des femmes et les risques auxquels une société encore inégalitaire continue de les exposer » contextualise en ouverture Zaynab Riet, déléguée générale de la FHF. En filigrane, une question primordiale : « quand comprendrons-nous collectivement que le corps des femmes n’appartient à personne, sinon à elles-mêmes ? » interroge le manifeste pour les droits des femmes en santé, signé par plusieurs centaines de personnalités, à l’occasion de cet évènement, et publié le 17 janvier dans le journal Le Monde, date anniversaire de la promulgation de la loi Veil.
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Garantir l’avenir dans un monde où rien n’est jamais acquis pour les femmes
« Simone Veil a changé nos vies. Cinquante ans plus tard, nous devons nous souvenir de toutes ces femmes confrontées à un avortement clandestin. Celles qui ont survécu en ont été à jamais marquées. Aujourd’hui, nous sommes enfin en mesure d’écouter ces femmes », déclare Aurore Bergé, ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations. « L’an dernier, nous avons inscrit dans la constitution le droit à l’avortement. Un acte de protection pour garantir notre avenir dans un monde où rien n’est jamais acquis pour les femmes, nous le savons », alerte-t-elle. « Nous devons aller plus loin pour les droits des femmes, lutter contre le contrôle coercitif. La violence est sournoise, insidieuse. La réalité est brutale et souvent insupportable. Cela doit nous obliger chaque jour et chaque à chaque heure à défendre les droits des femmes. Pour mener ces combats ensemble, et surtout les remporter ».
La soumission chimique, nouveau territoire de lutte
Pour explorer ce qui se joue entre santé et droits, Anne Bouillon, avocate engagée pour l’égalité, Caroline Darian, fondatrice de l’association #MendorsPas, Sandrine Josso, députée engagée pour les droits des femmes et la santé publique, Isabelle Lonvis-Rome, magistrate et ancienne ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, et le professeur Bertrand Guidet, président du Comité éthique de la FHF, étaient réunis en ce 16 janvier autour de Zaynab Riet pour une table ronde dédiée à la soumission chimique, comme nouveau territoire de lutte.
Ces échanges ont mis en lumière le besoin « d’une synergie entre le droit et la santé pour construire des parcours de soins respectueux des femmes et de leurs droits », pointe Zaynab Riet. Mais la route est encore longue, et les défis sont nombreux, de l’iniquité d’accès aux soins à la difficulté à faire émerger les problématiques spécifiques aux femmes et leur santé dans la sphère politique. Sans compter que le risque d’un recul des acquis est réel, avec la montée des menaces pesant sur les droits des femmes en Europe.
Biais de genre, tabous et culture du silence
« La mortalité liée à l’infarctus du myocarde est deux fois plus importante chez la femme que chez l’homme », révèle le professeur Bertrand Guidet, en s’appuyant sur un rapport récent de l’Académie de médecine. En cause, un diagnostic tardif, un retard dans la prise en charge et un accès limité aux traitements appropriés. « Cette iniquité d’accès aux soins renvoie à la question des recommandations de prise en charge, qui reposent sur des études qui incluent très peu de femmes », déplore le président du Comité éthique de la FHF. « Une meilleure représentativité des femmes dans les essais cliniques, ainsi que dans les grandes études scientifiques, est nécessaire. Il faut en parallèle encourager la recherche dédiée à la santé des femmes, par exemple en instaurant des appels à projets ciblés », soutient-il.
Du côté politique, Sandrine Josso, députée, qui porte depuis 2024 une mission gouvernementale visant à trouver des solutions concrètes pour enrayer le phénomène de soumission chimique, et dont l’objectif est d’inscrire cette lutte dans la loi, constate : « parler des sujets des femmes, c’est toujours pousser le volume un peu plus bas. Il y a une gêne, liée à notre littérature, l’art, le théâtre depuis des centaines d’années, il y a cette culture du silence autour des femmes, la santé des femmes, les victimes de violences. Il nous faut lever le voile, briser le silence ». Isabelle Lonvis-Rome, magistrate et ancienne ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes complètent : « Parler du sujet de santé des femmes c’est aussi parler de leur corps. La société n’est pas à l’aise avec ce corps des femmes qu’il faut parfois cacher. Cela rend ces questions taboues et invisibles. Montesquieu disait que lorsqu’on veut changer les mœurs et les manières, on ne les change pas par les lois, mais quand même, en matière de droit des femmes, je trouve que la loi booste un peu des mœurs ».
L’arbre qui cache la forêt
Alors, comment agir concrètement, accompagner ces femmes victimes de violence ? « Les violences portent atteinte à la santé des femmes, qui vivent dans la peur et le stress constants. Nous avons besoin de mots pour pouvoir approcher au plus près la réalité de ces femmes, et déconstruire nos biais de représentation, nos biais sexistes » partage l’avocate engagée pour l’égalité, Anne Bouillon. Ainsi, le terme de « soumission chimique » imprègne depuis peu les consciences, sa réalité ayant éclaté au grand jour avec le procès Mazan. « C’est une affaire qui choque, mais ce n’est que l’arbre qui cache la forêt, témoigne Caroline Darian. Il y a des milliers de cas en France, des femmes, des hommes et même des enfants. Sensibilisé, communiquer sur ce phénomène, dont l’ampleur est encore méconnue, est primordial. C’est un long chemin, qui ne fait que commencer ». De fait, au-delà de la reconnaissance sémantique, les symptômes des victimes de soumission chimique doivent être mis en lumière. Sans cela, nous continuerons à laisser les victimes « dans un trou noir et dans l’impasse, faute d’acculturation des professionnels de santé », dénonce la fondatrice de l’association #MendorsPas. Nous devons réfléchir de façon pluridisciplinaire, service de santé, police et justice, pour aider les victimes à sortir du silence et de l’effroi », soutient-elle.
Pour réaffirmer leurs droits en santé, les femmes ont donc besoin d’une reconnaissance juridique de leurs maux, de politiques, de santé publique adaptées, de professionnels de santé formés, et de protocoles médicaux clairs et adaptés. L’hôpital a ici un rôle clé à jouer en tant que service public pivot, pour repenser le parcours de soin et offrir un soutien global. Un combat qui suppose de changer les mentalités, lutter contre les stéréotypes, et rester toujours en alerte sur la protection des droits.
Anne Bouillon, Avocate engagée pour l’égalité
« L’idée que nous sommes propriétaires de nos corps n’est pas encore acceptée par tous et même par toutes. Bafouer le droit des femmes malmène profondément leur santé, avec des conséquences physiques. Je vois des femmes atteintes dans leur élan vital, éteint »
Caroline Darian, Fondatrice de l’association #MendorsPas
« Ce que j’ai pu observer, de par les témoignages recueillis et mon histoire personnelle et familiale c’est que les victimes sont laissées dans un trou noir et dans l’impasse, faute d’acculturation des professionnels de santé »
Sandrine Josso, Députée engagée pour les droits des femmes et la santé publique
« Le travail législatif est rendu possible par un combat auprès des pouvoirs publics pour faire entendre les sujets à traiter de façon prioritaire. Il est nécessaire d’inscrire le maximum d’éléments dans la loi, en distinguant progressivement les différents types de violences »
Professeur Bertrand Guidet, Président du Comité éthique de la FHF, service de médecine intensive, réanimation, Hôpital Saint-Antoine, Paris, Membre de l’Académie nationale de médecine
« Il y a une perte de chance pour les femmes à chaque étape de la prise en charge de l’infarctus, de l’appel des secours au traitement »
Zaynab Riet, Déléguée générale de la Fédération hospitalière de France
« Nous avons besoin d’une synergie entre le droit et la santé pour construire des parcours de soins respectueux des femmes et de leurs droits »
Aurore Bergé, Ministre de l’Égalité entre les Femmes et les Hommes et de la Lutte contre les discriminations
« Nous devons aller plus loin pour les droits des femmes. La violence est sournoise, insidieuse. Cela doit nous obliger chaque jour et chaque à chaque heure à défendre les droits des femmes. Pour mener ces combats ensemble, et surtout les remporter »